Cuba
( novembre 2019)
Vallée de Viñales
Dans l'ouest de Cuba, dans la province de Pinar del Rio, nous avons pu regarder et comprendre comment on fabriquait le fameux cigare cubain, le Habano.
Depuis la culture de tabac, le séchage des feuilles, puis leur sélection et le traitement, jusqu'à l'assemblage jalousement secret des feuilles adéquates et enfin la fabrication du cigare, le processus n'a plus de mystère pour nous ... enfin presque !
Et la vallée de Viñales, montagneuse avec ses collines calcaires, les mogotes, a le mérite d'être jolie ... ça change de la platitude autour de La Havane.
Dans la vallée de Vinalès, un paysan roule un cigare
La journée d'aujourd'hui est consacrée à ce qui fait la fierté et la réputation de Cuba : le cigare cubain, le Habano, appelé aussi puro. Nous quittons La Havane en direction de l'ouest de l'ïle vers la province de Pinar del Rio où nous visiterons une manufacture de tabac et la vallée de Viñales, dans des montagnes karstiques uniques à Cuba, pour voir la culture du tabac et la préparation de ses feuilles.
Et c'est parti pour un (long) trajet sur l'autopista, l'autoroute locale. La vitesse est limitée à 100 km/h, et on comprend pourquoi lorsqu'on voit la cohabitation avec les charrettes tirées par des chevaux, les vélos, les bus antédiluviens qui s'arrêtent au petit bonheur la chance, les piétons qui marchent le long de la voie, font du stop, traversent ... Notre bus roule systématiquement à gauche et quand je demande pourquoi à Yuset, il me répond "mais ... c'est la voie rapide !" ... ce qui n'empêche pas les autres véhicules de nous dépasser à droite. Bon, heureusement l'autopista est quasiment déserte.
Nous traversons d'abord la province d'Artesima, aux paysages verts mais plutôt plats avant d'apercevoir les premiers reliefs de la Cordillera de Guaniguanico et d'entrer dans la province de Pinar del Rio. Le passage entre deux provinces se matérialise par une sorte de poste de péage (sans péage, c'est gratuit) où il faut rouler au pas pour les policiers en faction examinent le conducteur.
Manufacture de tabac à Pinar del Rio
La matinée est déjà bien avancée lorsque nous arrivons à Pinar del Rio, où nous visitons une manufacture de tabac. C'est une fabrique d'état, les photos sont interdites ... Nous recevons les explications dans une grande salle où des employés, les torcedores, assemblent les feuilles de tabac pour rouler les cigares. Ils sont une quarantaine à s'activer, répartis sur une dizaine de rangées de cinq postes de travail, d'où peut-être le nom galeria ... la galère : en effet c'est ainsi qu'on appelle cette salle.
Le poste de travail est assez simpliste : une chaise, une table de montage avec un tiroir où le torcedor réalise le cigare avec un minimum d'outils : une lame (la chevata), une guillotine et un pot de résine, et au-dessus de la table une sorte de pupitre où se trouvent les différentes feuilles et les poupées .... (tu trouveras plus bas une explication plus détaillée du processus de fabrication et du vocabulaire). Contrairement à la légende, il n'y a pas de lecteur ... celui-ci avait dans le temps pour but de rythmer le travail exigeant mais monotone des torcedores, mais aussi de leur apporter de l'éducation, eux qui souvent ne savaient pas lire. L'ambiance est décontractée parmi les torcederos, mais ils restent très concentrés sur leur tâche, car les cigares sont contrôlés aléatoirement, avec le risque de se voir rejeter la production du jour ! et comme ils sont payés à l'unité ...
La visite est finalement assez rapide, les explications sont brèves et on n'en comprend pas tout le sens, dans la mesure où on fait notre circuit à l'envers dans la journée : on voit d'abord la fabrication du cigare, puis la préparation des feuilles et enfin la culture du tabac !
Après la visite, passage obligé à la boutique de cigares : pas donnés ! Nous poursuivons la route qui désormais virevolte dans un paysage montagneux, ou plutôt de grosses collines de calcaire ocre. Ce sont les Mogotes, qui jaillissent abruptes et découpées de la vallée à travers la végétation. De nombreux vautours, des urubus à tête rouge, survolent la campagne.
Nous nous arrêtons pour déjeuner dans un resto en plein air (conçu pour les bus de touristes ...), un ensemble de paillotes au pied des mogodes, proche d'une grotte. L'endroit est assez joli, mais le poulet rôti "à la cimarron" (du nom des esclaves fugitifs) est plutôt sec. Le temps de trouver les quelques CUC pour le pourboire, les musiciens, le petit pipi ... et c'est reparti.
Culture et séchage du tabac
Dans un despadillo, une femme trie les feuilles de tabac (1/13) | L'activité dans un despadillo (1/13) | Feuilles de tabac après séchage et première fermentation (3/13) |
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Dans un despadillo, diplôme de reconnaissance du travail de l'atelier (4/13) | Dans un despadillo, sélection des feuilles de tabac (5/13) | Dans un despadillo, l'ambiance révolutionnaire reste bien présente : drapeau cubain, photo du Che ...(6/13) |
Dans un despadillo, les claies où sont aérées les feuilles après fermentation (7/13) | L'activité dans un despadillo (8/13) | Une casa de tabaco, un séchoir pour les feuilles de tabac après la récolte (9/13) |
Finca Macondo, un paysan fabrique ses cigares avec les 10¨% de sa récolte auxquels il a droit (10/13) | Finca Macondo, un paysan fabrique ses cigares ... et les fume aussi (11/13) | Finca Macondo, phase d'assemblage des feuilles de la tripe (12/13) |
Finca Macondo, le paysan roule son cigare (13/13) |
Culture du tabac et préparation des feuilles
placez le curseur sur l'image pour voir la légende
Cet après-midi, nous commençons par visiter un despadillo, l'endroit où les feuilles de tabac, une fois séchées, sont préparées avant l'envoi en manufacture : on les trie selon l'usage qui en sera fait (l'intérieur ou l'enrobage du cigare), on enlève la nervure centrale, on les classe selon le type de feuille, puis on les fait fermenter avant des les aérer et les laisser vieillir. Moins de monde dans cet atelier, les postes de travail sont plus espacés et l'ambiance semble assez cool, mais le travail entièrement manuel semble très répétitif. On observe le geste maintes fois répétés de l'écotage, c'est à dire l'action d'enlever la nervure centrale en séparant les deux parties de la feuille : ça semble simple mais il faut être très précis pour ne pas endommager la feuille.
Nous verrons aussi l'entrepôt où fermentent ensuite les piles de feuilles, qu'il faut surveiller de près, car dès que la température dépasse 35°, il faut défaire la pile puis la refaire ... Dans une autre salle, les claies qui permettent d'aérer les feuilles après fermentation. Plus loin, les sacs en toile de jute prêts pour l'envoi des feuilles en salle de vieillissement.
Nous nous rendons ensuite dans une finca, une ferme où on cultive le tabac. Un jeune paysan nous explique comment se passent la plantation puis la récolte, avec le nom des différents types de feuille selon leur position dans le plant, du bas vers le haut. Il nous montre une casa de tabaco, un séchoir où les feuilles de tabac, attachées à de longues tringles, vont perdre leur humidité.
Puis il nous emmène dans sa maison pour nous montrer comment il fabrique ses propres cigares, un peu comme on a vu ce matin à la manufacture. Vient le moment de goûter. J'allume mon cigare, comme on nous l'a appris hier à La Havane. Mais j'ai beau chauffer, tirer dessus, activer les braises ... il ne prend pas. Le paysan finit par me le prendre des mains, essaye ... et ça ne marche pas non plus ! ouf, j'ai l'air moins con ! Il rigole, tâte le cigare et nous dit qu'effectivement, il y a un défaut, il est roulé trop serré à un endroit, la combustion ne se fait pas. Allez on en prend un autre et cette fois, on fait tourner le cigare ... Comme il est sympa, on lui achète des cigares et des guillotines.
Quelques paysages du côté de Viñales
La Cordillera de Guaniguanico (1/18) | La Cordillera de Guaniguanico (2/18) | La propagande est encore très présente ! (3/18) |
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Vallée de Viñales, les mogotes (4/18) | Vallée de Viñales, les mogotes (5/18) | Vallée de Viñales, les mogotes (6/18) |
Vallée de Viñales, les mogotes (7/18) | Vallée de Viñales, les mogotes (8/18) | Vallée de Viñales, les mogotes (9/18) |
Vallée de Viñales, les mogotes (10/18) | Vallée de Viñales, les paysans utilisent beaucoup les boeufs (11/18) | Vallée de Viñales, culture du café (12/18) |
Vallée de Viñales, bananier en fleur (13/18) | Vallée de Viñales, les chevaux sont très présents à Cuba (4/18) | Vallée de Viñales, les mogotes (50/18) |
Vallée de Viñales, un boeuf au repos 16/18) | Vallée de Viñales, les mogotes vues du Mirador Los Jazmines (17/18) | Vallée de Viñales, les mogotes vues du Mirador Los Jazmines (18/18) |
Cordillera Guaniguanico et mogodes
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Nous entamons le chemin du retour après un arrêt au Mirador los Jazmines qui offre une vue panoramique sur les mogodes et la vallée. Puis c'est à nouveau l'autopista, qui nous étonne toujours autant par les piétons et les charrettes qui l'empruntent alors que la nuit tombe ...
Comment fait-on un cigare cubain ?
La culture du tabac
La région de Viñales, où la terre est riche et le taux d’humidité important, produit près des trois quarts du tabac de Cuba. On y trouve les plus grandes marques : Cohiba, Montecristo, Romeo y Julieta, Bolivar … Toutes les fabriques appartiennent à l'état. Les paysans alentours sont obligés de leur vendre 90% de leur production, au prix (fort bas…) fixé par l’état, évidemment. Les 10% restant ? consom-mation personnelle ou vente directe pour arrondir leurs fins de mois.
Durant l’été, la terre est labourée, à la charrue tirée par des bœufs. D’octobre à janvier, les plants (fournis par l'état) sont repiqués. Sachant que le plant atteint sa taille optimale au bout de 45 jours environ, la récolte se fait de janvier à mars. On distingue trois parties dans le plant : les feuilles du bas (volado), qui favorisent une bonne combustion, les feuilles centrales (seco) qui donnent les arômes et les feuilles du haut (ligero) qui, bien exposées au soleil, donnent la force.
Il existe deux variétés de tabac : le criollo qui fournit la tripe et la sous-cape, soit la majorité des feuilles qui composent l'intérieur du cigare, et le corojo pour les capes, l'enveloppe du cigare. Les plants de ces derniers sont souvent cultivés sous des voiles de protection pour que les capes soient uniformes et bien soyeuses.
La récolte se fait sur plusieurs jours, de bas en haut du plant, avec quelques jours d’intervalle entre les différents étages. Les feuilles sont coupées à la main, deux à deux, à l’aide d’une machette. Elles ont ensuite liées, toujours deux à deux, sur des perches en bois qui sont placées dans la casa de tabaco, un séchoir au toit en feuilles de palme ouvert aux vents. Elles y sont progressivement remontées vers le haut selon leur degré de déshydratation. Au bout d’une cinquantaine de jours, elles ont alors perdu 80% de leur humidité et pris une couleur dorée. C’est après séchage que le représentant de l’état vient acheter sa (grande) part.
La culture du tabac
Le séchage du tabac dans la casa tabaco
La préparation des feuilles
Après le séchage, les feuilles passent l’escogida. où se fait une première sélection. On empile ensuite les feuilles pour l'importante étape de fermentation qui vise à réduire la teneur en nicotine et goudron. Elle va durer entre 1 et 2 mois. La température ne doit pas dépasser 35° … sinon il faut défaire et refaire les piles !
Puis elles passent au despalillo y rezagado, le centre d’écotage et de tri.. Les feuilles sont d’abord classées selon leur destination (tripe, sous-cape, cape), Les feuilles de cape, qui seront apparentes, font l’objet d’un tri très précis : texture, taille, couleur …Les autres sont essentiellement triées selon leur type (ligero, seco, volada) : c'est la travail des rezagadoras. L'écotage est fait par despalillodoras qui, après que les feuilles aient été humidifiées, les défroissent et en ôtent avec dextérité la nervure centrale. On ne retient que les feuilles ayant une belle taille (les autres finissent en cigarillos ou cigarettes) et on les aplatit entre deux planches.
Les feuilles de tripe et de sous-cape vont ensuite faire l’objet d’une seconde fermentation de 45 (volado) à 90 jours (ligero) pour éliminer l’ammoniac avant d’être entreposées sur des trétaux pour être aérées.
Enfin, elles ont mises en ballots en toile de jute avant de vieillir dans un entrepôt, l’almacén, pendant 9 à 18 mois. Plus le vieillissement est long, pus forts sont les arômes. Les feuilles pour les capes, qui n'ont subi qu'une seule fermentation, vieillissent quant à elles dans des sacs en écorce de palmier.
Ecotage des feuilles par une despalillodora
Ballots de feuilles de tabac
La fabrication d’un cigare.
Après la préparation et le vieillissement des feuilles, le tabac arrive à la manufacture en balles, avec mention de la variété de tabac, du temps de fermentation et de vieillissement.
Le maître assembleur va sélectionner les feuilles qui vont servir de tripe, sous-cape (l’intérieur du cigare) ou de cape (l’enrobage extérieur du cigare). Puis il va les peser et les assembler selon un savant dosage pour sélectionner le pourcentage de ligero (qui donne a force), de seco (l’arôme) et de volado (la combustibilité), Ce mélange, le liga, est une étape essentielle que seul le maître d’atelier connaît pour réaliser les différents modules (vitola en cubain) çàd la taille et la forme du cigare et surtout les caractéristiques propres à sa marque.
Une fois qu’on a bien préparé et sélectionné les ingrédients, il faut passer au roulage du cigare. C’est le travail du torcedor, littéralement le tordeur. Il commence par poser le mélange de feuilles de tripe dans la paume de sa main pour bien les ajuster bout à bout puis les roule pour faire la poupée. Celle-ci est ensuite roulée dans la sous-cape en feuille de volado, qui dépasse un peu la taille finale du cigare, puis mise sous presse dans un moule en bois pour une demi-heure.
L’étape suivante est le roulage de la cape : le torcedor prend une poupée après pressage (il en a plusieurs devant lui), choisit dans son stock une feuille pour la cape, ajuste sa taille à la poupée avec une lame arrondie, la chaveta, pose la poupée de biais sur la cape (côté nervuré vers l’intérieur) puis roule délicatement la cape autour de la poupée en faisant bien chevaucher les épaisseurs à chaque tour.
Le poste de travail du torcedor
Un torcedor roule la tripe dans la cape
En roulant le cigare sous sa paume, il va le rendre bien homogène, ce qui est important pour sa bonne combustion A la fin, la cape est fixée à l’aide d’une goutte de résine, et avec une chute de cape, il fait le bout arrondi, la coiffe. L’autre côté est coupé à la bonne dimension par rapport au module à obtenir, avec une petite guillotine. Et voilà le travail !
Un torcedor roule plus de cent cigares par jour, en général le même module, avec des gestes répétitifs et bien rodés. Pour autant des contrôles sont effectués pour vérifier le calibre, la longueur mais aussi le tirage (par une machine spéciale) et le goût (par un dégustateur) !
Les cigares sont ensuite mis au repos dans une salle de conditionnement aux murs couverts de bois de cèdre pour absorber leur humidité, pendant plusieurs jours. Pour finir, un expert coloriste trie les cigares selon leur teinte, puis ils sont bagués et rangés dans une boîte en cèdre, du plus clair ou plus sombre. Bagues et boîtes sont jalousement personnalisées : on appelle vista, la gravure richement décorée qui la recouvre une boîte, et anilla la bague.
Plaza San Francisco de Asis, la nuit
Pour le dîner, nous retournons dans la vieille ville de La Habane du côté de la Plaza de San Francisco de Asis au restaurant Café del Oriente. Un endroit plutôt classe pour dîner dans une ambiance feutrée. Même le musicien, juste un pianiste, joue en sourdine des mélodies douces. Pendant un repas, c'est plus reposant que la musique cubaine ...
Notre hôtel : NH Capri (Vedado) - voir
Restaurant midi : Palenque de los Cimarrones (Vinales)
Restaurant soir : Café del Oriente (Habana Vieja - Officios) voir